Je n’ai jamais appris à créer.
Enfant, je rentrais de promenade les poches pleines d’un bric-à-brac de brindilles et de fruits des bois que je prenais plaisir à assembler ensuite en un petit monde éphémère. Je chantais aussi dès que j’étais seul dans la Nature. Je chantais de longues litanies dont j’inventais les vers au fur et à mesure. Histoires sans fin portées par une mélopée enfantine, observation et découverte d’une vérité ignorée des grandes personnes.
Dans la Nature, là où d’autres voient des combats, j’ai toujours vu un désir d’harmonie et une générosité inconnus des humains. Je n’ai jamais appris à créer mais j’ai très tôt éprouvé le désir de composer, moi aussi, des éléments qui s’harmonisent avec le lieu où je les abandonnais. Nul désir d’être connu ou reconnu, juste rendre le monde plus beau, faire croire à la magie d’un monde elfique au creux des bois.
Je n’ai jamais aimé l’école, lieu pour moi d’un conflit permanent. La volonté de nivellement et l’autorité placées comme générateur d’ordre sont incompatibles avec l’harmonisation et, par là, l’enseignement faisait à mes yeux fausse route. La Littérature et surtout la Poésie me semblait alors la seule voie capable de satisfaire mon désir de liberté. Mes poèmes tendus par le cadre de la métrique voulaient suggérer des pensées plutôt que de les dire et les récompenses ou les louanges ne parvenaient jamais à me satisfaire car mes flèches n’atteignaient pas leur but.
Je vivais alors au Pays Basque au bord de l’Atlantique. Mon temps se partageait entre l’écriture et toutes sortes de petits boulots auxquels s’ajoutait parfois la vente de bijoux composés à partir de petits éléments glanés sur les plages ou de vêtements confectionnés de toutes pièces ou recomposés à partir d’habits usagés. Les aléas de la vie m’ont aussi bien conduit à être bûcheron, pompiste ou chercheur d’or que designer de mobilier ou décorateur d’intérieur. Je découvrais des techniques nouvelles mais choisissais de n’en perfectionner aucune, changeant sans cesse de direction, je ne brûlais que d’écrire. Pour prendre le lecteur par la main, j’ai écrit des poèmes en prose, puis des nouvelles, des romans et enfin un essai sur l’Asocialisme. Nous avons créé, avec ma compagne d’alors, une maison d’édition (textes courts et nouvelles) appelée «les Germes Editions» qui fut la première en France à proposer des petits livres à 10 francs puis des livres carte postale.
Je participais aussi à la rédaction d’un fanzine satirique, mensuel et régional mais rien dans l’écrit n’assouvissait mon désir de «toucher» l’autre. La distance critique, que l’on nous a appris à placer dès l’école entre le texte et nous, interdit toute communication directe et le non-dit devient un non-sens. A quoi bon vouloir persister à communiquer puisque le lecteur a perdu son innocence, qu’il n’y a plus rien d’absorbant en lui déjà saturé de convictions. J’ai souffert encore quelque temps avant de cesser d’écrire.
Durant ces années-là, entre 1986 et 1993, j’avais pris l’habitude en fin d’après-midi de me rendre sur la plage. Et là dans un mouvement de rage, je tirais les plus grosses branches, des liens, des plastiques de couleur, des restes de filets et toutes sortes de rebuts avec lesquels je fabriquais un grand oiseau en équilibre sur la grève. Géant multicolore face à la mer et à l’astre qui disparaît, bougeant son long cou flexible au gré des vents jusqu’à ce que les vagues le transforment à nouveau en débris. Sculptures éphémères construites dans l’heure précédant le coucher du soleil et qui n’ont jamais revu le jour. Je voulais seulement faire un geste pour prouver que, juste avant qu’il ne soit trop tard, avant que l’inévitable nuit ait tout enveloppé, il est possible de transformer les ordures en oiseaux et la plage en un lieu unique où le soleil se couche derrière l’élégance d’un échassier imaginaire. Je voyais bien les rares promeneurs basculer dans la sensibilité qui était la mienne, pressentir l’existence d’un autre monde, d’un autre sens au monde. Je n’ai jamais appris à créer et je n’ai jamais vendu d’Ephémère (nom que je donne à ces oiseaux), c’est un acte gratuit offert à tous avec ma seule volonté d’harmonie. Je me sens alors dans la plénitude de l’arbre qui offre ses fruits, rendant un instant le monde plus doux, plus généreux et peut-être plus beau, avant que la nuit ne retombe et que les cruelles certitudes se relèvent avec le jour.
En 1993, j’ai ouvert une galerie dans un village retiré du Pays Basque. J’y exposais des meubles et des pièces d’art brut d’aspect primitif. Mais le vent d’ouest m’a soudain poussé vers les terres où j’avais grandi et j’ai retrouvé le mont Ventoux et les collines bleues de mon enfance. La mer s’est retirée et avec elle les Ephémères. Il m’arrive encore d’en faire quelques fois dans la garrigue mais je préfère descendre de temps en temps jusqu’en Camargue. Un photographe, A.Capa, m’accompagne parfois et un travail commun se met en place. (en partie visible sur www.a.capa.com). Dans les restanques provençales, j’ai découvert le fil de fer que les vignerons abandonnent au bout des champs. Rouleaux et pelotes entassés pêle-mêle et avec lesquels j’ai commencé en 1998 à faire des chiens. Tortillant un seul fil de fer jusqu’à ce qu’il compose la totalité de la forme, d’où le nom de «fils uniques» que je leur ai donné. Un minimum de matière et quatre cailloux fixés à la boucle qui fait l’extrémité de chaque patte assurent l’équilibre d’un animal très graphique et suffisamment mobile pour répondre à la caresse, au toucher.
Il m’arrive également de travailler avec des cerclages métalliques. Alors, de ces lames d’acier apparaissent des oiseaux ou des personnages particulièrement mobiles et qui projettent des ombres merveilleuses. Comme pour les Ephémères, je travaille le fil de fer ou le cerclage sans soudure et, le plus souvent, sans outil. Mes mains sont un outil personnel qui donne à mes créations les limites de mes capacités propres. Elles sont aussi le lieu de ma mémoire, le creuset du volume des animaux que je dessine dans l’espace avec mon fil.
Je n’ai jamais appris à créer mais j’ai toujours autant de plaisir à le faire.
En 2001, un ami m’a proposé de participer à une première exposition collective au Pouget sur le thème animalier de «2001 odyssée de l’espèce». Touché par l’intérêt du public et des artistes pour mon travail mais aussi par la chaleur qu’ils me témoignaient, j’ai décidé de proposer mes pièces à la vente à St Tropez puis Apt, Lodève et enfin Paris. J’ai trouvé une manière personnelle de parler de mon travail et lors des expositions j’ai découvert le contact avec les acheteurs et les collectionneurs. Enfin, les salons d’art contemporain m’ont permis cette année de vivre de mon art. En quatre ans, j’ai vendu plusieurs centaines de fils uniques dont certains de grandes dimensions comme des moutons ou des vaches grandeur nature et la variété de ma ménagerie ne cesse de s’étendre. J’apprécie également de travailler sur des commandes à partir des photos de mes pièces ou de celles proposées par l’acheteur. C’est à chaque fois un défi qui me conduit à de nouveaux modèles, à de nouvelles petites séries dont chaque pièce a son unicité.
J’ai le plus grand intérêt pour le lien «sentimental» qui se crée entre mes sculptures et leur acquéreur. Le caractère typique de mes petits chiens, par exemple,conduit naturellement à leur choisir un nom dès lors qu’on les garde chez soi.
Je n’ai jamais appris à créer mais je ne le regrette pas. J’ai la conviction que cela aurait pu dénaturer la Joie que j’ai de m’enfermer dans l’atelier, le temps suspendu, avec une liberté totale et sans autre référent que moi-même.